Traitements antirétroviraux injectables contre le VIH : une évaluation difficile en Afrique de l’Ouest ?
Traitements antirétroviraux injectables contre le VIH : une évaluation difficile en Afrique de l’Ouest ?
Dakar (© 2025 The Conversation) – Les médicaments antirétroviraux injectables à action prolongée sont désormais disponibles pour traiter le VIH dans plusieurs pays occidentaux, dont la France. Ces traitements pourraient également offrir une alternative aux comprimés en Afrique. Cependant, des chercheurs sénégalais et français rencontrent des obstacles pour lancer une étude visant à évaluer l’acceptabilité et l’efficacité de ces traitements sur le continent.
Avec environ 39 millions de personnes infectées dans le monde selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la lutte contre le VIH reste un défi majeur de santé publique à l’échelle mondiale, d’autant plus que la transmission du virus persiste. L’Afrique est particulièrement touchée, car c’est sur ce continent que vit la majorité des personnes séropositives.
Depuis 2019, l’OMS recommande en Afrique l’utilisation de combinaisons d’antirétroviraux à doses fixes à base de dolutégravir pour la prise en charge du VIH. Ces traitements, administrés sous forme d’un comprimé quotidien unique, sont bien tolérés et améliorent significativement la qualité de vie des patients.
Cependant, l’obligation de prendre un traitement oral quotidien reste une contrainte pour de nombreuses personnes, ce qui peut entraîner des difficultés d’observance. Cette adhésion au traitement est pourtant cruciale pour garantir son efficacité à long terme.
Les antirétroviraux injectables : une solution pour l’Afrique ?
Le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques est essentiel pour répondre aux divers besoins des personnes vivant avec le VIH et aux contextes sanitaires et sociaux variés. Les traitements antirétroviraux injectables à action prolongée pourraient constituer une alternative prometteuse à la thérapie orale quotidienne.
Ces traitements injectables ont déjà démontré leur efficacité, que ce soit dans la prévention du VIH via la prophylaxie pré-exposition (PrEP) ou dans le traitement des personnes séropositives. En Europe et en Amérique du Nord, une combinaison de deux antirétroviraux (cabotégravir et rilpivirine), injectée tous les deux mois, est autorisée depuis 2020. Cette option est intégrée dans les recommandations thérapeutiques de plusieurs pays, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France.
En Afrique, en 2025, ces traitements ne sont accessibles que dans trois pays (Kenya, Afrique du Sud et Ouganda) dans le cadre d’études menées par les laboratoires détenteurs des brevets. Dans les régions d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, où la stigmatisation liée au VIH reste forte, les antirétroviraux injectables pourraient améliorer l’observance et la qualité de vie des patients. Ils pourraient également élargir l’offre de soins, conformément aux recommandations de l’OMS en matière de prise en charge différenciée.
Une étude sénégalaise pour évaluer l’acceptabilité de ces traitements
Au Sénégal, dès 2021, une première étude qualitative, baptisée « Traitements injectables contre le VIH » (Tivih), a été menée pour évaluer l’acceptabilité des antirétroviraux injectables. Soutenue financièrement par l’ANRS–Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), cette étude a été réalisée par une équipe de chercheurs et cliniciens sénégalais et français expérimentés dans le domaine des antirétroviraux en Afrique.
L’étude Tivih, menée entre 2021 et 2022 dans trois centres de prise en charge du VIH à Dakar, a impliqué des entretiens et des observations auprès de 42 personnes vivant avec le VIH (dont 12 femmes et 30 hommes, parmi lesquels 20 hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes) ainsi que 13 professionnels de santé et responsables de programmes nationaux de lutte contre le sida.
Des résultats prometteurs, mais des réserves
Les résultats ont révélé que les antirétroviraux injectables sont perçus comme une opportunité de s’affranchir des contraintes liées à la prise quotidienne de comprimés, notamment en réduisant les fardeaux psychologiques, logistiques et sociaux associés à la maladie. Ils pourraient également atténuer la crainte de la stigmatisation.
Cependant, cet enthousiasme est tempéré par une certaine réticence face aux injections et par la crainte d’effets secondaires. De plus, des contraintes liées à la médicalisation des soins doivent être anticipées, comme la nécessité de se rendre à l’hôpital tous les deux mois pour recevoir l’injection, ce qui soulève la question de l’observance des rendez-vous.
Enfin, l’étude met en lumière à la fois des conditions favorables à l’introduction de ces traitements au Sénégal, basées sur l’expérience passée en matière d’innovations thérapeutiques, et des défis organisationnels majeurs, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement et la pérennisation des traitements.
Une étude bloquée malgré les financements
En janvier 2023, l’ANRS-MIE a accordé un nouveau financement à l’équipe pour mener une étude de faisabilité, d’acceptabilité et d’efficacité des antirétroviraux injectables auprès d’une cohorte de 140 adultes séropositifs suivis pendant un an. L’objectif était de générer des données scientifiques proches des conditions réelles.
Cependant, en mars 2025, cette étude n’a toujours pas pu démarrer. Malgré les engagements des autorités sénégalaises et de l’ANRS-MIE, les laboratoires détenteurs des brevets refusent de fournir les médicaments, que ce soit gratuitement ou à l’achat. Le Sénégal ne semble pas figurer parmi leurs priorités.
Cette situation bloque une évaluation indépendante, retardant ainsi la production de données essentielles pour orienter les recommandations de l’OMS sur l’utilisation de ces traitements en Afrique de l’Ouest.
Des inégalités persistantes dans l’accès aux innovations
Ces restrictions pourraient retarder l’accès à grande échelle aux antirétroviraux injectables jusqu’en 2030, car l’évaluation de leur efficacité et de leur acceptabilité nécessite du temps.
Cette situation rappelle les années sombres de 1997 à 2000, lorsque les traitements antirétroviraux étaient vendus à des prix prohibitifs (10 000 dollars par personne et par an), empêchant ainsi leur accès aux populations africaines.
L’Onusida souligne que les objectifs mondiaux de lutte contre le sida ne seront pas atteints en 2025 (l’un des objectifs étant de réduire les décès annuels à moins de 250 000). Les indicateurs étant particulièrement faibles en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, l’impossibilité d’évaluer les antirétroviraux injectables constitue un frein à la mobilisation internationale et à l’accès aux nouveaux traitements pour les personnes vivant avec le VIH dans ces régions.
Conclusion
Les antirétroviraux injectables représentent une avancée majeure dans la lutte contre le VIH, mais leur évaluation et leur déploiement en Afrique de l’Ouest restent entravés par des obstacles logistiques et économiques. Sans une collaboration accrue entre les laboratoires pharmaceutiques, les gouvernements et les organisations internationales, l’accès à ces innovations thérapeutiques risque d’être retardé, exacerbant ainsi les inégalités en matière de santé.
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